top of page

A propos de la prescription de l’action en réduction contre une donation de biens communs

Dans un arrêt en date du 5 janvier 2023 (Cass. 1ère civ., 5 janv. 2023, n°21-13.151), la Cour de cassation était saisie d’un litige portant sur la prescription de l’action en réduction contre une donation de biens communs.


En l’espèce, un conflit s’était noué au sujet du règlement des successions confondues de deux parents, décédés respectivement le 6 octobre 2001 et le 23 décembre 2013. L’un des enfants (étant précisé qu’ils étaient tous communs aux deux époux) réclamait la réduction d’une donation déguisée au profit de son frère et portant sur un bien commun. Pour déclarer cette action irrecevable, la Cour d’appel avait considéré que la prescription courrait exclusivement à compter du premier décès, en 2001. Par suite, s’agissant d’une succession ouverte avant le 1er janvier 2007, elle estimait que la prescription était acquise au 19 juin 2008, bien avant l’assignation qui n’avait été réalisée qu’en 2016.


La Cour de cassation casse l’arrêt au visa des article 920, 1438 et 1439 du code civil. Elle rappelle qu’il ressort de ces textes que la donation de biens communs est, sauf clause contraire, réputée consentie par chacun des époux pour moitié. Il existe donc deux donations qui peuvent chacune faire l’objet d’une action en réduction dans la succession de chaque donateur, avec ses propres règles de prescription. En l’occurrence, puisque le second décès était survenu en 2013, il était encore possible, en 2016, d’agir contre la donation consentie par le second donateur au regard des règles de prescription applicables dans cette succession, c’est-à-dire celles du nouvel article 921, alinéa 2, du Code civil.



Note. Cet arrêt de la Cour de cassation présente l’intérêt de rappeler qu’une donation conjointe de biens communs ne fait l’objet d’aucune règle dérogatoire en matière de réduction (comp., pour la donation-partage conjonctive, le report du point de départ de l'action au second décès prévu par l'art. 1077-2, alinéa 2, du Code civil). On peut regretter en revanche qu’il n’ait pas donné l’occasion à la haute juridiction de trancher de façon indiscutable la question de la prescription de l’action en réduction dans les successions ouvertes avant le 1er janvier 2007.


Sur le premier point, la solution ne fait aucun doute. En effet, en l’absence de clause particulière, rien ne permet de considérer qu’une donation conjointe de bien commun doit être traitée et liquidée en totalité au premier décès (et c’est d’ailleurs vrai aussi en certaines circonstances, de la donation consentie par l’un des époux et simplement acceptée par l’autre – v. sur le sujet, La donation de biens communs à un enfant commun : rapport et/ou récompense ?, Droit de la famille, n° 12, décembre 2012, p. 46-47).


Comme cela ressort notamment de l’article 1438 du Code civil, on doit au contraire y voir deux donations, à réunir fictivement, et le cas échéant à rapporter, séparément dans chaque succession. Et si la réduction est demandée dans l'une et/ou l'autre succession c’est encore de façon autonome que l’on apprécie une éventuelle prescription.


Au cas particulier, nul ne contestait la prescription de la réduction de la donation consentie par le prémourant mais cela n’interdisait pas de poursuivre aussi la réduction de la donation consentie par le survivant. Or, dans cette seconde succession, ouverte en 2013 et donc soumise aux dispositions (complexes) du nouvel article 921, alinéa 2, du Code civil, la prescription n’était pas encore acquise (pour mémoire, le texte prévoit une prescription par 5 ans avec une possibilité d’aller jusqu’à 10 ans en cas d’ignorance légitime de l’atteinte portée à la réserve, à condition d’agir dans les 2 ans de la connaissance de l’atteinte).


Sur le second point, on aurait aimé que l’arrêt tranche expressément la question discutée du délai de prescription de l’action en réduction pour les successions ouvertes avant le 1er janvier 2007. En effet, s’il est acquis que le nouvel article 921 du Code civil est inapplicable aux « anciennes successions » il reste à savoir si l’on continue simplement d’appliquer l’ancienne prescription trentenaire ou si l’on tient compte aussi de la réforme du délai de prescription de droit commun opérée par la loi du 17 juin 2008.


Suivant le premier raisonnement, la prescription peut théoriquement courir jusqu’à la fin 2036. Suivant le second, puisque la loi ramène à cinq ans le délai de droit commun et qu’elle est applicable aux délais de prescription en cours à compter de son entrée en vigueur, la prescription de l'action en réduction se trouve acquise au plus tard au 19 juin 2013 (2008 + 5).


Si une bonne partie de la doctrine est favorable à cette seconde thèse, et qu’il existe au moins deux arrêts en ce sens (Cass. 1ère civ. 10 janv. 2018, n°16-27894 et Cass. 1ère civ. 3 oct. 2019, n°19-19783), aucune décision de principe n’a encore été rendue sur la question.


L’arrêt commenté aurait pu constituer une bonne occasion, d’autant que la Cour d’appel s’était clairement positionnée sur cette solution. Malheureusement, ce n’est pas ce point qui a été critiqué devant la Cour de cassation mais, comme on l’a vu, celui de « l’indivisibilité » de la donation de biens communs. C’est évidemment dommage car la Cour de cassation aurait pu alors non seulement clore le débat doctrinal mais surtout offrir de la quiétude à tous les notaires confrontés à la difficulté.

Partie remise sans doute…


David Epailly



Vous pouvez consulter l'intégralité de la veille de jurisprudence d'ALS.not, accessible à tous.


Petit bonus gratuit pour tous les membres du site, clients ou non : une fiche PAPL retraçant tous les liens vers la jurisprudence liquidative de l’année 2022.


Si vous êtes déjà clients d'ALS.not, vous pouvez également consulter la documentation spécialisée en ligne. Sinon, pour nous rejoindre, c'est ici.


Plus d’informations sur nos solutions (simulateurs de liquidation et documentation) en suivant notre vidéo de présentation sur le site, ou directement : https://youtu.be/elcK4Oxco2A

bottom of page