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Rapport successoral : les règles de la subrogation liquidative sont constitutionnelles

Dans un arrêt en date du 14 février 2024 (Cass. 1ère civ. 14 février 2024, Pourvoi n°23-19.059), la Cour de cassation était saisie, dans le contexte d’un règlement successoral conflictuel, d’un litige portant notamment sur la disqualification d’une donation-partage en un ensemble de donations rapportables ainsi que sur l’évaluation desdits rapports.


Les auteurs du pourvoi avaient formulé une question prioritaire de constitutionalité, reformulée par la Cour de cassation de la façon suivante : « L'article 860, alinéa 2, du code civil qui dispose que "si un nouveau bien a été subrogé au bien aliéné, on tient compte de la valeur de ce nouveau bien à l'époque du partage, d'après son état à l'époque de l'acquisition" et que "toutefois, si la dépréciation du nouveau bien était, en raison de sa nature, inéluctable au jour de son acquisition, il n'est pas tenu compte de la subrogation", porte-t-il une atteinte injustifiée au droit de propriété garanti par l'article 2 de la Déclaration de 1789, en ce qu'il a pour effet de priver le gratifié, qui a vendu le bien donné et réalisé une plus-value en plaçant le prix de vente, d'une partie de cette plus-value pour en faire profiter ses cohéritiers ? »


La Cour de cassation répond par la négative à cette question, considérant que l’atteinte portée au droit de propriété par les règles du rapport en valeur, et spécialement celles relatives à la subrogation liquidative, sont proportionnées et justifiée par un motif d’intérêt général. Elle décide en conséquence que la QPC ne présente pas de caractère sérieux, si bien qu’il n’y pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.  


La motivation très claire, mérite d’être intégralement reproduite :  « Le rapport des libéralités, régi par les articles 843 à 863 du code civil, oblige chaque héritier à rendre compte à la succession des libéralités qu'il a reçues du défunt, afin que la masse successorale ainsi reconstituée se partage entre tous les héritiers à proportion de la vocation héréditaire de chacun.


Le principe étant celui du rapport en valeur, l'article 860 du code civil fixe les règles d'évaluation du montant de l'indemnité de rapport, en recourant à la technique de la dette de valeur.


La règle de subrogation liquidative contestée selon laquelle, si un nouveau bien a été subrogé au bien aliéné, il est tenu compte de la valeur de ce nouveau bien à l'époque du partage, d'après son état à l'époque de l'acquisition, en est une déclinaison. Elle permet de parer aux risques de fraude consistant, pour l'héritier donataire, à limiter artificiellement le montant du rapport, en vendant le bien donné pour procéder à un autre investissement à son seul profit.


L'exception faite à cette règle, lorsque la dépréciation du nouveau bien était, en raison de sa nature, inéluctable au jour de son acquisition, pour revenir au rapport de la valeur du bien donné à l'époque de son aliénation, d'après son état à l'époque de la donation, tend à garantir l'équité en empêchant le donataire de se dispenser du rapport par l'achat d'un bien de consommation dont la valeur ne peut que diminuer.


Ayant pour finalité d'assurer le respect des vocations successorales légales de l'ensemble des héritiers, la disposition attaquée est donc justifiée par un motif d'intérêt général.

Les limitations qu'elle apporte à l'exercice du droit de propriété du donataire sont proportionnées au but poursuivi dès lors que l'héritier gratifié, qui vend le bien donné et réalise une plus-value à la suite de l'acquisition d'un nouveau bien, n'est privé de cette plus-value qu'à due concurrence de la vocation successorale de ses cohéritiers.


Enfin, il peut être dérogé par l'acte de donation, tant à l'obligation au rapport qu'aux règles d'évaluation de l'indemnité de rapport, de sorte que ces limitations sont conformes à la volonté tant du donateur que du donataire qui y a consenti en acceptant la donation ».


Note


Cette décision de la Cour de cassation offre l’occasion de rappeler les règles dites de la « subrogation liquidative » que l’on rencontre en matière de rapport des libéralités, comme dans l’affaire en cause, mais qui sont également transposables à la question de la « réunion fictive » en vue de l’établissement de la masse de calcul de la réserve et de la quotité disponible (C. civ. art 922).


Les dispositions de l’article 860, aliéna 2 du Code civil, dont la constitutionnalité était contestée, concernent l’hypothèse dans laquelle le gratifié a aliéné le bien donné, et a remployé le prix dans l’acquisition d’un nouveau bien. Mais on notera que la « subrogation liquidative » s’applique aussi à l’hypothèse d’une donation de somme d’argent ayant fait l’objet d’un emploi – cf. le renvoi opéré par l’article 860-1 du Code civil).


Dans les deux cas, cette « subrogation » permet de considérer que le rapport est dû de la valeur du bien subrogé au jour du partage successoral, étant toutefois précisé :


  • Qu’il ne faut évidemment prendre en compte la subrogation qu’à la mesure de l’emploi ou du remploi. Ainsi, par exemple, si le prix de vente du bien donné ne permet d’acquérir que le tiers du nouveau bien, le rapport sera dû de la valeur du tiers de ce bien subrogé au jour du partage successoral.


  • Qu’il faut tenir compte, comme à chaque fois en matière de rapport (y compris en l’absence de subrogation), du correctif de « l’état du bien », qui sert à faire bénéficier ou à faire supporter au seul gratifié les plus-values ou moins-values qui ne sont dues qu’à lui. Ainsi par exemple, celui qui vend le bien donné pour acheter un terrain, et qui finance ensuite de ses deniers une construction, doit rapporter la valeur du terrain subrogé, nu, au jour du partage.


  • Qu’il est fait exception à la règle, lorsque l’emploi ou le remploi est réalisé en faveur d’un bien dont la « dépréciation est inéluctable par nature » (ex. du matériel informatique coûteux mais dont on sait qu’il devient rapidement obsolète). Dans ce cas, on ne tient pas compte de la subrogation liquidative. Le rapport est dû de la valeur du bien donné au jour de son aliénation.

Comme l’indique la Cour de cassation, ce corps de règle a pour but d’assurer la reconstitution la plus juste possible de la masse successorale, étant précisé au préalable (ce qui semble avoir été oublié par le requérant) que le gratifié qui accepte une donation rapportable s’oblige à cette reconstitution.


Pour y parvenir, il est juste de faire profiter la cohérie des bons investissements réalisés par le donataire (qu’il n’aurait pas pu faire sans cette avance) lequel en profite également à hauteur de sa propre part successorale, ce que la Cour de cassation n’a pas manqué de rappeler pour repousser le grief d’inconstitutionnalité.


On ajoutera que les cohéritiers peuvent parfois, en corollaire (hors de l’hypothèse du remploi en faveur du bien dont la dépréciation est « inéluctable par nature » - v. infra), être amenés à supporter une partie de la moins-value lorsque le bien subrogé a perdu de la valeur, ce qui est cette fois à l’avantage du donataire.


Enfin, le souci de justice est encore renforcé par le correctif de « l’état du bien », et par la règle « anti-fraude » qui consiste à ne pas tenir compte du remploi au profit d’un bien dont on sait à l’avance qu’il va perdre une grande partie de sa valeur d’ici au partage.


La décision de rejet de la Cour de cassation doit donc être totalement approuvée, face à une critique de la constitutionnalité des règles du rapport aux fins d'égalité qui révèle une méconnaissance de sa technique autant que de son fondement.


Cela ne signifie pas pour autant que la mise en œuvre du rapport ne puisse jamais conduire à des situations vécues dans les familles comme une injustice. Un exemple, connu sous la thématique plus large de « l’occupation gratuite », est celui de différence de traitement qui existe entre les donations de fruits (qui sont rapportables) et les donations d’usufruit préconstitué sur la tête du donateur (qui ne le sont pas, du fait de l’extinction de l’usufruit).


Mais c’est là un autre sujet...sur lequel nous publierons bientôt une nouvelle fiche PAPL.


David Epailly


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