Dans un arrêt en date du 22 novembre 2023 (Cass. 1ère civ. 22 novembre 2023, pourvoi n°21-25.251), la Cour de cassation devait se prononcer sur la méthode de liquidation d’une indivision entre deux ex-époux qui s'étaient mariés sous le régime de la séparation de biens.
Pour y procéder, la Cour d’appel avait d'abord porté à l’actif de l’indivision le bien indivis (d’une valeur de 490.000 euros) et l’indemnité d’occupation due par l’ex-épouse (d’un montant de 207.548,77 euros), soit un total de 697.548,77 euros.
Elle avait ensuite décidé que chacune des parties avait droit à la moitié de ce montant (soit 348.774,58) augmenté ou diminué du résultat de son compte d’indivision.
Or, l’ex-époux était créancier de l’indivision à hauteur de 57.878, 82 euros (une créance de l'article 815-13 du Code civil pour une dépense de conservation de l'immeuble), ce qui portait ses droits à 348.774,58 + 57.878,82 = 406.653,20 euros
L’ex-épouse était elle-aussi titulaire d’une créance contre l'indivision pour un montant de 107.389,74 euros, mais en elle était débitrice à hauteur de l’indemnité d’occupation susévoquée de 207.548,77 euros, soit un solde négatif pour elle de 100.159,03 euros et donc des droits de 348.774,58 - 100.159,03 = 248.615,35 euros
Cette méthode de calcul est ensuite contestée par l’ex-épouse qui forme un pourvoi en cassation en reprochant notamment à la Cour d’appel de ne pas avoir fait figurer correctement au passif de l’indivision les créances des indivisaires.
La Cour de cassation lui donne raison et casse l’arrêt d’appel au visa des articles 815-13, alinéa 1er, 815-17, alinéa 1er, 825, 870 et 1542 du Code civil.
Dans un arrêt très pédagogique, elle rappelle d’abord les principes et la méthode : « (…) il résulte des quatre derniers de ces textes qu'il appartient à la juridiction saisie d'une demande de liquidation et partage de l'indivision existant entre époux séparés de biens de déterminer les éléments actifs et passifs de la masse à partager, lesquels intègrent, respectivement, les dettes des copartageants envers l'indivision et les créances qu'ils détiennent sur celle-ci, d'en déduire un actif net, puis de déterminer les droits de chaque copartageant dans la masse à partager en appliquant sa quote-part indivise à cet actif net, puis en majorant la somme en résultant des créances qu'il détient sur l'indivision et en la minorant des sommes dont il est débiteur envers elle (…).
Elle relève ensuite ce qu’a été l’erreur des juges du fond dans le raisonnement résumé plus haut : « (…) En statuant ainsi, alors que, pour déterminer l'actif net de la masse à partager, les dépenses dont il était tenu compte aux indivisaires en application de l'article 815-13 du code civil, qui constituaient des créances sur l'indivision, devaient être inscrites pour leur totalité au passif de celle-ci et venir en déduction de son actif brut, la cour d'appel a violé les textes susvisés (…).
Elle décide enfin, « dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice » de statuer au fond, et donc de procéder elle-même à la liquidation des droits des indivisaires en mettant en œuvre les principes précédemment dégagés.
Ainsi, et contrairement à ce qu’avait fait la Cour d’appel, il convenait de déduire de l’actif brut de 697 548,77 euros (le bien de 490.000 + l’indemnité d’occupation de 207.548,77 due par Madame), les deux créances contre l’indivision (celle de Madame de 107.389,74 euros et celle de Monsieur de 57.878,82 euros), pour aboutir à un actif net de 532.280,21 euros. Par suite, (..) les droits de Mme [E] dans la masse à partager représentent la moitié de cet actif net indivis, soit la somme de 266 140,10 euros, majorée de la créance de 107.389,74 euros qu'elle détient sur l'indivision et minorée de la somme de 207.548,77 euros dont elle est débitrice envers celle-ci, soit des droits d'un montant de 165.981,07 euros, et ceux de M. [B] représentent la moitié de l'actif net indivis majorée de la créance de 57.878,82 euros qu'il détient sur l'indivision, soit des droits d'un montant de 324.018,92 euros ».
Note.
Il est toujours plaisant de lire et analyser les arrêts qui rappellent les règles liquidatives. Mais ce qui l’est plus encore, d’autant que c’est beaucoup plus rare, c’est de voir la Cour de cassation les mettre en application en faisant elle-même le travail liquidatif.
L’essentiel ayant déjà été explicité dans l’arrêt, on insistera simplement sur la nécessité de faire figurer les éléments actifs et passifs du compte d’indivision de chaque indivisaire à l’actif de l’indivision (pour les dettes des indivisaires) et/ou au passif de celle-ci (pour leurs créances). C’est cet actif net qui est partagé entre les indivisaires pour déterminer les droits de chacun, lesquels sont ensuite corrigés à la hausse ou à la baisse en tenant compte du solde, positif ou négatif, de leurs comptes d’indivision.
En l’espèce, la Cour d’appel avait bien pris en compte la créance de l’indivision contre l’ex-épouse à l’actif (indemnité d’occupation), mais pas les deux créances 815-13 (une pour chaque époux) contre l’indivision, qui devaient figurer au passif, ce qui augmentait artificiellement la masse en faveur de l'ex-époux et faussait les droits des parties. La cassation était donc parfaitement logique.
On terminera par un petit clin d’œil à tous les utilisateurs (présents et j'espère futurs) d’ALS.not et plus généralement à tous ceux qui me font l’honneur de me lire ici et/ou sur les réseaux. Au vu d'un tel arrêt, il est bien évident que je ne pouvais pas ne pas vérifier ce qu’aurait donné la liquidation soumise à la Cour de cassation, si elle avait été faite avec le simulateur.
Et bien cela donne ceci :
Ce qui, fort heureusement pour moi, est parfaitement conforme au dispositif de l'arrêt : "(...) DIT que, majorés de la somme dont il est créancier de l'indivision, les droits de M. [B] dans la masse à partager sont de 324 018,92 euros ;
DIT que, majorés de la somme dont elle est créancière de l'indivision et minorée de celle dont elle est débitrice, les droits de Mme [E] dans la masse à partager sont de 165 981,07 euros"
A très vite.
David Epailly
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