Dans un arrêt en date du 23 octobre 2024 (Cass. 1ère civ. 23 octobre 2024, 22-20.879, Inédit), la Cour de cassation devait se prononcer, dans le contexte d’un règlement successoral conflictuel, sur la question de la possible qualification en donation indirecte du financement par l’usufruitier de travaux d’amélioration sur un bien démembré.
Dans l’affaire en cause, une personne est décédée, laissant pour lui succéder ses trois enfants. Elle avait, quelques années plus tôt, consenti à leur profit une donation-partage avec réserve d’usufruit portant notamment sur une maison d’habitation, attribuée à sa fille. Puis elle avait financé à plusieurs reprises divers travaux d’amélioration sur ce bien, certains légalement à sa charge, d’autres normalement à la charge de la nu-propriétaire.
Lors du règlement de la succession, les cohéritiers de la fille exigent le rapport de ce qu’ils estiment être une donation indirecte. Faute d’accord, ils engagent un procès et obtiennent satisfaction devant la Cour d’appel de Dijon qui relève l’appauvrissement et l’intention libérale de l’usufruitière, et l'enrichissement de la nu-propriétaire. Celle-ci forme alors un pourvoi en cassation.
La haute juridiction rejette le pourvoi en se retranchant derrière l’appréciation souveraine des juges du fond, rappelant toutefois au passage que le fait que certains travaux soient légalement à la charge de l’usufruitier ne permet pas d’écarter par principe la qualification de libéralité :
« La réalisation par l'usufruitier de travaux d'amélioration valorisant le bien n'est pas exclusif d'un dépouillement dans une intention libérale, constitutifs d'une libéralité, peu important que ceux-ci soient légalement à sa charge.
Après avoir relevé que [J] [F] [Z] avait entrepris des travaux de rénovation sur la propriété du [Localité 4] afin de rendre habitable cet ancien logement de garde, resté longtemps désaffecté, la cour d'appel a constaté que celle-ci avait non seulement pris en charge des gros travaux incombant au nu-propriétaire, mais également des travaux d'aménagements (électricien, plombier, interphone, restauration de façade, éclairage, ravalement, rénovation d'appartements ) relevant de la charge de l'usufruitier, dont elle a estimé qu'ils n'étaient pas rendus nécessaires par une contrainte de bail et que l'intéressée n'en avait tiré aucune contrepartie à son bénéfice.
Elle en a souverainement déduit qu'en finançant l'ensemble de ces travaux, [J] [F] [Z] s'était appauvrie, dans une intention libérale, au profit de la nue-propriétaire, de sorte que la somme correspondante devait être rapportée à la succession. Le moyen, qui ne tend qu'à remettre en cause cette appréciation souveraine, n'est donc pas fondé ».
Observations.
Cet arrêt de la Cour de cassation, même s’il est de rejet et qu’elle se retranche derrière le pouvoir d’appréciation souverain des juges du fond, présente plusieurs intérêts.
Il nous semble d’abord conforter l’idée, même si le texte n’est pas spécialement visé et que le point reste discuté en doctrine, selon laquelle l’article 599, alinéa 2, du Code civil n’est pas un obstacle irrémédiable à l’établissement d’une intention libérale et donc d’une libéralité indirecte de l’usufruitier au nu-propriétaire.
En effet, en indiquant que « (…) l'usufruitier ne peut, à la cessation de l'usufruit, réclamer aucune indemnité pour les améliorations qu'il prétendrait avoir faites, encore que la valeur de la chose en fût augmentée », l’article 599 précité donne une justification légale à l’enrichissement du nu-propriétaire mais il n’interdit pas de démontrer que celle-ci se double d’une intention libérale de l’usufruitier.
On rappellera d’ailleurs que dans son célèbre arrêt du 19 septembre 2012 (Cass. 3ème civ. 19 septembre 2012, n°11-15.460) relatif à la construction par l’usufruitier sur le terrain du nu-propriétaire (étant également rappelé qu’une telle construction est assimilée à une « amélioration » au sens de l’article 599, alinéa 2 précité - Cass. req. 4 nov. 1885, DP 1881, I, 361), la Cour de cassation ne dit pas qu’aucune libéralité indirecte ne pourra jamais être établie, mais seulement qu’elle ne peut pas l’être au moment où les travaux sont réalisés, puisque l’accession est différée à la fin de l’usufruit.
L’arrêt commenté donne également l’occasion de rappeler que les articles 605 et 606 du Code civil distinguent entre les « réparations d’entretien », qui sont légalement à la charge de l’usufruitier et les « grosses réparations », qui incombent au nu-propriétaire. Mais là encore, cette distinction n’interdit pas, lorsque l’usufruitier réalise volontairement des travaux relevant de l’une ou l’autre des deux catégories, de démontrer l’existence des éléments constitutifs d’une libéralité indirecte, savoir l’appauvrissement, l’enrichissement corrélatif et l’intention libérale.
Bien sûr, la tâche est sans doute moins aisée lorsqu’il s’agit d’améliorations qui sont en même temps des réparations d’entretien (ce qui est possible notamment si l’on renouvelle des équipements/matériaux par d’autres de qualité très supérieure). Mais elle n’est insurmontable, comme le démontre l’affaire en cause, dès lors que lesdits travaux ne sont ni absolument nécessaires, ni « rentables » pour l’usufruitier (« (…) dont elle a estimé qu'ils n'étaient pas rendus nécessaires par une contrainte de bail et que l'intéressée n'en avait tiré aucune contrepartie à son bénéfice ».).
En résumé, aucun texte du Code civil organisant la répartition des droits et devoirs de l’usufruitier et du nu-propriétaire ne permet d’empêcher qu’une « amélioration » réalisée par le premier puisse être qualifiée (toute considération probatoire mise à part) de libéralité indirecte au profit du second.
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