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Donation-partage en deux temps : le donateur doit diriger le partage séparé

Dans un arrêt en date du 12 juillet 2023 (Cass. 1ère civ., 12 juillet 2023, n°21-20.361), la Cour de cassation devait se prononcer sur la possible disqualification en donation simple d’une donation-partage en deux temps (donation puis partage par acte séparé en application des prévisions de l’article 1076, alinéa 2, du Code civil).


Dans l’affaire en cause, le de cujus est décédé en laissant pour lui succéder son conjoint, une fille d’une première union et deux fils issus de la seconde union. De son vivant, il avait réalisé en 1995 une « donation-partage » au profit de ses trois enfants, « attribuant » des biens mobiliers à sa fille et des droits indivis de la moitié d’un immeuble à chacun de ses deux fils. Puis, en 2008, ces derniers avaient procédé au partage dudit bien, avec l’intervention à l'acte de leur auteur mais uniquement en sa qualité de donateur pour renoncer à l’action révocatoire et au droit de retour conventionnel.


Suite à un conflit au moment de la liquidation et du partage de la succession, la fille engage une procédure de partage judiciaire contre ses frères, estimant notamment que l’acte réalisé en 1995 devait être requalifié en une donation ordinaire rapportable dans les conditions de droit commun.


Elle obtient satisfaction devant les juges du fond, qui constatent que l’acte de 1995 laissait les deux frères en indivision, et qui estiment que l’intervention du donateur au partage en 2008 était insuffisante à considérer que ce partage avait été réalisé à l’initiative ou sous la médiation de celui-ci. En conséquence, le partage ne répondait pas à la condition posée à l’article 1076, alinéa 2, du Code civil et le premier acte devient bien être disqualifié en donation simple.


Les frères forment alors un pourvoi devant la Cour de cassation, estimant que la Cour d’appel avait ajouté une condition non prévue par le texte qui ne vise que « l’intervention » de l’ascendant aux deux actes de la donation-partage.


La Cour de cassation rejette sur ce point le pourvoi, et rappelle que la donation-partage en deux temps suppose que l’ascendant « effectue » ou au moins « dirige » le partage :


« Selon l'article 1075 du code civil, toute personne peut faire, entre ses héritiers présomptifs, la distribution et le partage de ses biens et de ses droits sous forme de donation-partage.


Aux termes de l'article 1076, alinéa 2, du code civil, la donation et le partage peuvent être faits par actes séparés pourvu que le disposant intervienne aux deux actes.


Il résulte de ces textes que la donation-partage, même faite par actes séparés, suppose nécessairement une répartition de biens effectuée par le disposant lui-même ou, tout au moins, sous sa direction et avec son concours.


La cour d'appel a retenu, par motifs adoptés, que l'acte du 7 novembre 1995, qui n'attribuait que des droits indivis à MM. [Y] et [I] [P], ne pouvait, à lui seul, opérer un partage.


Elle a estimé que, si [K] [P], en sa qualité de donateur, avait donné son consentement à la vente intervenue entre ses fils, en renonçant à l'action révocatoire ainsi qu'à l'exercice du droit de retour, il n'apparaissait pas, pour autant, qu'il ait été à l'initiative de l'acte du 17 janvier 2008 ni que le partage ait été réalisé sous sa médiation.


Elle en a déduit que l'acte n'avait pas résulté de la volonté du donateur de procéder au partage matériel de la donation, mais de celle des copartagés.


Ayant ainsi fait ressortir que la répartition des biens n'avait pas été effectuée par le disposant lui-même ou, tout au moins, sous sa direction, la cour d'appel a retenu à bon droit que l'acte du 7 novembre 1995 était une donation rapportable à la succession du donateur »


Note.


Depuis maintenant plusieurs années, la Cour de cassation s’efforce de réaffirmer ce qui fait l’essence de la donation-partage, en exigeant qu’elle contienne des lots divis exclusivement (v. Cass. civ. 1re, 6 mars 2013, n° 11-21.892, Bull. civ. I, n°34 ; v. aussi, Cass. civ. 1re, 20 nov. 2013, n° 12-25.681 : Bull. civ. I, n° 223) et en rappelant le rôle primordial et directeur du ou des ascendants donateurs lorsqu’il s’agit de composer les lots (v. Cass. civ. 1re, 13 févr. 2019, n° 18-11.642), et ce, que la donation-partage soit réalisée en un seul trait de temps, ou en deux actes séparés, comme le permet l’article 1076, alinéa 2, du Code civil.


Le présent arrêt reprend ces différentes exigences. En premier lieu, une « donation-partage » qui laisse en indivision deux des trois donataires-copartagés ne mérite pas sa qualification. En second, lieu, s’il est effectivement possible de réaliser la donation-partage en deux temps (C. civ. art. 1076, alinéa 2 du Code civil), c’est à la condition que le deuxième acte (le partage) soit réalisé sous la "direction" de l’ascendant donateur.


A cet égard, la décision a le mérite de préciser le sens du mot « intervention » du disposant, qui figure à la lettre du l’article 1076, alinéa 2, précité. Pour que l’acte puisse s’analyser en un « second temps » de donation-partage, il ne suffit pas que l’ascendant y intervienne pour renoncer aux différentes charges et conditions (action révocatoire et droit de retour) prévues lors du « premier temps ». Il faut que, positivement, il soit, sinon l’initiateur du partage, au moins celui qui le dirige.


A défaut, et malgré cette « intervention », le partage doit être considéré comme réalisé par les seuls indivisaires. En conséquence, il ne s’agit plus d’une donation-partage en deux temps, et le premier acte (qui par hypothèse n’allotit pas divisément tous les enfants) doit alors être traité comme une donation ordinaire.


On remarquera pour terminer que l’arrêt semble considérer incidemment que c’est l’intégralité du premier acte qui doit être disqualifié alors pourtant que la fille avait reçu un lot divis. Cette position est parfaitement cohérente avec la décision du 20 novembre 2013 citée un peu plus haut, qui optait déjà pour une requalification totale... mais moins avec celle de 2019, qui semble valider le principe d’une donation-partage au profit d’un seul enfant. Il reste donc encore un peu travail à la Cour de cassation pour finir d'harmoniser sa jurisprudence.


David Epailly


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