Dans un arrêt en date du 15 janvier 2025, (Cass. 1ère civ. 15 janvier 2025, n°22-24.672), la Cour de cassation invite à s’interroger sur la recevabilité d’une action en partage judiciaire, en présence d’une clause d’attribution de communauté au conjoint survivant, d’un démembrement de propriété sur les biens propres de la défunte, et de diverses donations entre vifs.
Dans l’affaire en cause une personne est décédée en laissant pour lui succéder son mari et deux enfants communs, un fils et une fille, lesquels avaient reçu plusieurs donations de leur mère.
Les époux avaient opté pour une communauté élargie (communauté universelle à l’exception des biens propres par nature et des immeubles propres de l’épouse), avec clause d’attribution intégrale en propriété ou en usufruit. Ils s’étaient par ailleurs consenti une donation entre époux au dernier vivant avec choix de quotité disponible.
Au décès, le conjoint survivant décide d’opter pour l’attribution intégrale de la communauté en pleine propriété et, au titre de la donation, pour l’usufruit des biens propres de son épouse. Le fils, en conflit avec son père et sa sœur, les assigne afin «(…) que soit ordonnée l'ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de la succession ainsi que, le cas échéant, de la communauté, le rapport à la succession des donations consenties à ses héritiers et la réduction des libéralités excédant la quotité disponible ».
Cette demande est jugée irrecevable par les juges du fond. La Cour d’appel retient d’abord « (…) que la totalité du patrimoine de la communauté a été transmise [au conjoint survivant] au jour du décès de son épouse par l'effet de leurs conventions patrimoniales, les droits des enfants étant différés au décès du parent survivant ».
Elle relève ensuite que sur les biens propres, les enfants ne sont que nus-propriétaires tandis que le mari est usufruitier en vertu de la donation entre époux, ceci pour en déduire, « qu’un partage n'étant pas possible entre usufruitiers et nus-propriétaires, la demande d'ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de la succession telle qu'elle est présentée par M. [G] [U], nu-propriétaire, est irrecevable »
Elle décide enfin « que les demandes de rapport des donations ne pouvant être ordonnées que lors d'une instance en liquidation et partage d'une succession, celles-ci sont tout autant irrecevables ».
L’arrêt est cassé par la Cour de cassation au visa de l’article 815 du Code civil, qui décide par ailleurs de juger au fond dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice.
Pour la haute juridiction, il existait bien une indivision successorale en nue-propriété sur les biens propres de la défunte si bien que l’action du fils était recevable. En outre celui-ci pouvait également demander le rapport et la réduction des donations consenties par la défunte : « Il résulte des articles 720, 815, 825, 843, 920 et 924-3 du code civil, que, malgré l'adoption par le défunt d'un régime de communauté universelle de biens avec clause d'attribution intégrale au conjoint survivant, un héritier réservataire peut, le cas échéant, prétendre au partage de ceux des biens demeurés propres au défunt sur lesquels il détient une quote-part indivise, que l'indivision porte sur la pleine propriété desdits biens ou l'un de ses démembrements, ainsi qu'au rapport ou à la réduction des libéralités consenties par le défunt (…) ».
Observations.

Cette décision pédagogique de la Cour de cassation permet de faire quelques rappels utiles et de lever certaines confusions.
En premier lieu, s’il est vrai qu’il n’existe pas d’indivision entre nu-propriétaire et usufruitier, il n’en reste pas moins qu’une indivision peut exister entre plusieurs nus-propriétaires et donc donner lieu à une action en partage judiciaire de l'un d'eux. De la même façon, il peut y avoir une indivision et un partage judiciaire entre plusieurs usufruitiers.
En second lieu, il ne faut pas confondre, comme c’est parfois le cas en pratique en présence d'une clause d'attribution intégrale de communauté universelle, succession sans biens existants et "absence de succession".
En effet même lorsque les époux n’ont mis aucune limite à leur communauté universelle (contrairement à l’hypothèse de l’arrêt où l'avantage matrimonial excluait certains biens) la succession peut encore être constituée de biens demeurés propres par la volonté d’un tiers (une donation consentie à l’un des époux avec clause d’exclusion de la communauté). Elle peut aussi et surtout, se composer uniquement des indemnités de rapports et/ou de réduction attachées aux donations entre vifs consenties par le prémourant des époux.
Dans cette hypothèse, il n’existe absolument aucune règle obligeant les enfants à attendre le second décès pour faire valoir leurs droits (la situation ne se confond pas avec celles des enfants communs allotis par leurs parents au moyen d’une donation-partage conjonctive – art. 1077-2 du Code civil).
Le devoir de conseil du notaire liquidateur (tenu on le rappelle d’une obligation spéciale d’information sur les droits des réservataires - art. 921, al. 3 du Code civil) est ici particulièrement important.
Il doit informer les réservataires de la possibilité de demander le partage, et surtout de leur droit d’agir en réduction, étant observé que si la masse de l’article 922 du Code civil n’est composée que de donations hors part, (du fait de la clause d’attribution intégrale de communauté et en l’absence d’autres donations rapportables), l’atteinte à la réserve est absolument inévitable (puisque la quotité disponible qui ne représente qu’une fraction de cette masse sera obligatoirement dépassée).
Il doit les informer également de la prescription quinquennale de l’article 921 du Code civil, et donc du risque de ne pouvoir recouvrer leur droits s’ils attendent le second décès et que celui-ci intervient plus de cinq après le premier.
Bien évidement toutefois, si les réservataires sont d’accord pour faire leurs comptes au décès du second parent, il est parfaitement possible de liquider l’indemnité de réduction et de différer son paiement à cette date. Mais, par hypothèse, cela suppose de se saisir de la question liquidative dès le premier décès...
David Epailly.
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