Dans un arrêt en date du 27 novembre 2024 (Cass. Com, 27 novembre 2024, n°23-12.151), la Chambre commerciale de la Cour de cassation était saisie d’un litige entre l’administration fiscale et des héritiers au sujet de la déductibilité fiscale d’une créance de restitution.
Dans l’affaire en cause, une personne décède en 2007 en laissant pour lui succéder son conjoint et deux enfants issus de l’union. Le conjoint opte pour l’usufruit légal de la succession dans laquelle figure notamment des liquidités et des portefeuilles titres.
Le conjoint décède lui-même en 2016. Dans la déclaration de succession figure au passif, au titre d’une créance de restitution, une somme correspondante à l’ensemble desdites liquidités et desdites portefeuilles titres.
L’administration fiscale redresse, considérant que la créance se limite au montant des liquidités. Elle fait valoir que pour les portefeuilles titres, il n’existe pas de quasi-usufruit légal et que la déductibilité était conditionnée à l’existence d’une convention de quasi-usufruit authentique ou enregistrée, qui n’a jamais été passée par les parties.
Le litige est porté par les enfants devant la Cour d’appel de Rennes, qui donne tort à l’administration en estimant que la déclaration de succession du prémourant, identifiant et renseignant exactement le montant des valeurs mobilières au jour du premier décès, était suffisante à autoriser la déduction de la créance de restitution au second.
Suite au pourvoi formé par l’administration, cette décision est cassée par la Cour de cassation au visa de l’article 768 du CGI.
La haute juridiction rappelle d’abord la règle posée par ce texte selon laquelle les dettes à la charge du défunt peuvent être déduites « lorsque leur existence au jour de l'ouverture de la succession est dûment justifiée par tous modes de preuve compatibles avec la procédure écrite ».
Elle indique ensuite que cette preuve ne résulte pas de la seule mention de la valeur exacte du portefeuille titres dans la première déclaration de succession « (…) S'agissant d'un usufruit légal portant sur un portefeuille de valeurs mobilières, la seule déclaration de succession, identifiant et renseignant exactement le montant des valeurs mobilières au jour du décès, ne peut établir, à elle seule, le caractère certain de la dette de restitution consécutive à la disparition, constatée à la fin de l'usufruit, du portefeuille de valeurs mobilières et en permettre la déduction, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Observations.
Cet arrêt donne l’occasion de faire quelques brefs rappels sur la question de la déductibilité fiscale de la créance de restitution attachée à un quasi-usufruit, « par nature » ou « conventionnel » (sachant qu’une analyse approfondie de toutes les difficultés liées à cette question, au regard notamment du nouvel article 774 bis du CGI inapplicable dans l’arrêt commenté, nécessiterait de bien plus amples développements).
1° Civilement, le quasi-usufruit « par nature » est celui qui existe de plein droit lorsque l’usufruit porte, au sens de l’article 587 du Code civil, sur « un bien consomptible par le premier usage ».
2° Lorsque le démembrement concerne un bien « non consomptible », il est encore possible de créer conventionnellement un quasi-usufruit, par un accord de volonté entre nu-propriétaire et usufruitier, à condition toutefois que ledit bien soit fongible.
3° Le portefeuille de valeurs mobilières démembré est soumis à un régime particulier.
On sait, depuis le célèbre arrêt « Baylet », que l’usufruitier ne dispose pas d’un quasi-usufruit par nature sur ce bien (Cass. civ. 1°, 12 nov. 1998 n°96-18.041, arrêt Baylet) même si ses droits sont supérieurs à ceux d’un usufruitier « ordinaire » (puisqu’il lui revient d’arbitrer les titres au sein de l’universalité que constitue le portefeuille, à condition d’en conserver la substance).
Par conséquent le quasi-usufruit sur un tel portefeuille (permettant notamment à l’usufruitier de le céder et d’appréhender le prix) doit nécessairement être crée conventionnellement.
4° Fiscalement, et même lorsque le démembrement à pour origine la vocation successorale légale du conjoint (v. article 757 du Code civil - au passage, dans l'arrêt commenté, on suppose que lorsque la Cour de cassation évoque "l'usufruit légal", elle fait référence à l'origine du démembrement et non à la nature du quasi-usufruit), la déductibilité de la créance de restitution attachée à un quasi-usufruit ne s’opère pas dans les mêmes conditions selon que le quasi-usufruit est « légal » (comprendre lorsqu’il porte sur un bien consomptible au sens de l’article 587 précité) ou « conventionnel » (comprendre lorsque la création du quasi-usufruit nécessite un accord de volonté entre les parties, puisque son objet est un bien fongible mais non consomptible).
Dans le premier cas, la créance de restitution peut être déduite dans la succession de l’usufruiter, conformément à l’article 768 du CGI, dès lors que son existence au jour du décès « (…) est justifiée par tout mode de preuve compatible avec la procédure écrite ». Une convention dédiée de « quasi-usufruit » (on devrait dire plutôt de constatation de l’existence d’une de dette de restitution) n’est donc pas indispensable (même si elle peut être très utile civilement, notamment pour formaliser la renonciation à l’obligation d’emploi) et l’on peut notamment se contenter des mentions portées dans la déclaration de succession du prémourant.
Dans le second cas, et par hypothèse, le quasi-usufruit ne résulte pas de la loi mais d’un accord de volonté entre le nu-propriétaire et l’usufruitier. Par suite, non seulement l’existence de la dette de restitution qui en résulte doit être prouvée pour pouvoir être déduite mais encore, lorsque le premier est l’héritier du second (ou lorsqu’il s’agit d’une personne interposée), cette dette est présumée fictive par l’article 773, 2°, du CGI (régime des dettes « consenties »). La déductibilité suppose donc de renverser ladite présomption, ce qui passe nécessairement par la conclusion d’une convention de quasi-usufruit par acte authentique ou par acte seing privé enregistré.
David Epailly
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