Dans un arrêt en date du 5 janvier 2023 (Cass. 1ère civ., 5 janv. 2023, n°21-13.966), la Cour de cassation rappelle que, dans l’hypothèse de la donation d’un usufruit préconstitué sur la tête du donateur, c’est bien le décès de ce dernier, et non celui du donataire, qui entraîne l’extinction du droit.
Dans l’affaire en cause, une personne décède en laissant pour lui succéder trois enfants et son conjoint, avec lequel il était marié sous le régime de la communauté, bénéficiaire d’une donation entre époux portant sur l’usufruit de la succession.
Un peu plus tard, le conjoint consent aux trois enfants (un fils et deux filles) une donation de la nue-propriété de ses droits sur des immeubles dépendant de l’indivision post-communautaire, en se réservant l’usufruit.
Puis, en 2013, il donne à l’un des enfants l’usufruit de la totalité desdits immeubles (l'usufruit « réservé » et celui provenant de la donation entre époux) avant de décéder lui-même une année plus tard.
Suite à ce second décès, un conflit se noue entre les trois enfants notamment au sujet d’une indemnité d’occupation privative des immeubles, réclamée au fils par ses sœurs à compter du jour du décès de la donatrice, date à laquelle il aurait, selon les requérantes, perdu sa qualité d’usufruitier.
La demande est rejetée par les juges du fond qui estiment que ledit enfant n’a pas perdu cette qualité du fait du décès de sa mère, et que, de ce fait, il ne peut être redevable d’une quelconque indemnité.
Les sœurs forment alors un pourvoi, considérant que la donatrice n'a pu donner que ce qu’elle avait, soit un usufruit viager sur sa propre tête, qui ne pouvait pas perdurer après son décès.
La Cour de cassation donne raison aux deux héritières et casse l’arrêt d’appel au visa des 595, alinéa 1er, et 617 du code civil :
« Aux termes du premier de ces textes, l'usufruitier peut céder son droit à titre gratuit.
Selon le second, l'usufruit s'éteint notamment par la mort de l'usufruitier. Il résulte de la combinaison de ces textes qu'en cas de donation d'un usufruit déjà constitué à titre viager, l'usufruit s'éteint à la mort du donateur et non du donataire. Pour rejeter la demande d'indemnité d'occupation formée par Mmes [I] et [L] [S] à l'encontre de M. [E] [S], l'arrêt retient que l'usufruit donné le 5 juillet 2013 se serait éteint à la mort de [F] [W] si celle-ci n'en avait pas fait donation à son fils de son vivant et que, si les trois enfants étaient nus-propriétaires des immeubles, M. [E] [S] disposait de la totalité de l'usufruit.
En statuant ainsi, alors que l'usufruit viager donné, qui avait été constitué au bénéfice de [F] [W], s'était éteint à son décès, la cour d'appel a violé les textes susvisés ».
Note.
La plus belle femme du monde, dit-on, ne peut donner que ce qu’elle a. C’est vrai aussi de l’usufruitier qui ne peut céder, à titre onéreux ou à titre gratuit, que l’usufruit viager dont il dispose, étant précisé que ce droit a pu être constitué sur sa tête par un propriétaire tiers (cas, par exemple, d’une donation entre époux en usufruit, d’un legs d’usufruit, ou encore d’une « réversion » d’usufruit à l’occasion d’une donation entre vifs de la nue-propriété), ou par l’usufruitier lui-même du temps où il était encore propriétaire (cas, par exemple, de la donation avec « réserve » d’usufruit).
Dans toutes ces hypothèses le donataire ne dispose que du droit qui lui a été cédé, avec ses caractéristiques et pour sa durée originelle, c’est-à-dire le temps de la vie du donateur usufruitier. La donation n’a pas l’effet « magique » de transformer l’usufruit en un droit viager sur la tête du donataire souvent plus jeune.
On rappellera aussi qu’une donation d’usufruit préconstitué sur la tête du donateur doit être réunie fictivement et/ou rapportée pour zéro En effet, au jour des différents comptes liquidatifs (décès/partage), ledit usufruit, viager sur la tête du donateur, a par hypothèse disparu avec lui…
Bien évidemment, la situation est très différente lorsque le donateur est propriétaire et non pas seulement usufruitier. Dans ce cas, en effet, il peut créer un usufruit sur la tête du donataire (voir des usufruits, y compris successifs, au profit de plusieurs gratifiés), qui a alors vocation à en profiter sa vie durant. Dans ce cette hypothèse, l'usufruit peut donc survivre au donateur... et conduire le donataire a devoir faire le rapport de sa donation.
David Epailly
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