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De la nature successorale du droit de retour légal des père et mère de l’article 738-2 du Code civil

Dans un arrêt en date du 26 mars 2025, la Cour de cassation devait se prononcer, dans le contexte d’un règlement successoral conflictuel, sur la possible application du « retour légal » des père et mère prévu par l’article 738-2 du Code civil.

 

Au cas particulier, une personne, M. Y, décède en 2009 sans descendance, laissant pour lui succéder sa mère, Mme S., des frères et sœurs et des neveux et nièces venant par représentation de deux autres frères prédécédés. Le défunt avait institué l’un de ses frères, M. B, légataire universel de sa succession. De son vivant il avait reçu divers biens par donations de ses père et mère, biens qu’il avait ensuite lui-même donné à certains de ses frères et sœurs.

 

La mère du défunt est elle-même décédée en 2012, sans avoir opté dans la succession de son fils, laissant pour lui succéder ses enfants et petits-enfants.

 

Un conflit se noue alors autour du règlement de la succession de M. Y, certains des héritiers prétendant exercer, en lieu et place de leur mère Mme S., décédée saisie de ses droits, le droit de retour de l’article 738-2 du Code civil.


Cette prétention est jugée irrecevable par la Cour d’Appel qui considère que « le droit de retour légal de l'ascendant donateur est exclusivement attaché à la personne de son titulaire et s'éteint au décès de celui-ci ».

 

Suite au pouvoi formé par lesdits héritiers, cette décision est cassée au visa des articles 724, 738-2 et 775, alinéa 2, du code civil.

 

Selon la Cour de cassation "le droit de retour légal de l'ascendant prévu par l’article 738-2 du Code civil est de nature successorale (1ère Civ., 21 octobre 2015, pourvoi n° 14-21.337, Bull. 2015, I, n° 250)".


En l’espèce ce droit a donc bien été transmis aux héritiers de Mme S, qui ne l’avait pas exercée de son vivant, et lesdits héritiers pouvaient donc bien, chacun pour leur part, décider de l’exercer ou non dans la succession de M. Y.

 

Observations.


Le droit de retour légal de l’article 738-2 du Code civil soulève des difficultés nombreuses que nous avons essayé de recenser à l’occasion de différentes publications (v. notamment, pour les abonnés ALS.Not, le guide de liquidation successorale dans la documentation en ligne). Nous n'en ferons ici qu'un rapide rappel.

 

Selon le texte, « Lorsque les père et mère ou l'un d'eux survivent au défunt et que celui-ci n'a pas de postérité, ils peuvent dans tous les cas exercer un droit de retour, à concurrence des quote-parts fixées au premier alinéa de l'article 738, sur les biens que le défunt avait reçus d'eux par donation.

La valeur de la portion des biens soumise au droit de retour s'impute en priorité sur les droits successoraux des père et mère.

Lorsque le droit de retour ne peut s'exercer en nature, il s'exécute en valeur, dans la limite de l'actif successoral. »

 

Dans l’arrêt ici annoté, la Cour de cassation précise une nouvelle fois (v. déjà Cass. 1ère civ. 21 octobre 2015, pourvoi n° 14-21.337, Bull. 2015, I, n° 250) que ce droit est de nature successorale. Il peut donc être transmis aux héritiers de son titulaire (père ou mère) lorsque ce dernier est décédé saisi de ses droits. L’option, transmissible, est également divisible, chaque hériter pouvant, à concurrence de sa part, demander ou non l’application du retour.


La précision donne l’occasion de rappeler que le retour légal est très différent du retour conventionnel auquel les praticiens sont beaucoup mieux habitués. Droit successoral, le retour légal de l’article 738-2 du Code civil, qui de surcroît fait office de « quasi-réserve » au profit des père et mère (suite à la suppression de la réserve des ascendants par la loi du 23 juin 2006), ne peut faire l’objet d’une renonciation anticipée sauf à heurter la prohibition des pactes sur succession future. Il est possible en revanche d’y renoncer une fois la succession ouverte, comme c’est le cas pour tous les droits successoraux (« nul n’est héritier qui ne veut »). C’est tout l’inverse pour le retour conventionnel, auquel le donateur peut renoncer du vivant du donataire mais pas après son décès (ou son décès sans postérité selon la rédaction la plus fréquente de la clause) puisque cet événement suffit à résoudre la donation.

 

Malheureusement l’arrêt ne donne pas d’indications sur les autres questions soulevées par le texte qui animent régulièrement la doctrine et créent surtout des incertitudes pour la pratique.

 

Est notamment discuté le point de savoir si le retour doit jouer en valeur (thèse qui a notre préférence par cohérence avec la généralisation de la réduction en valeur) ou en nature lorsque le bien en question fait l’objet d’une libéralité à cause de mort (legs ou donation entre époux).

 

Est également discutée la question d’un possible chevauchement entre la « quasi-réserve » des père et mère et la « vraie » réserve du conjoint survivant (C. civ. art. 914-1) ou encore avec les droits viager au logement de ce dernier (C. civ. art. 764).

 

Enfin et surtout, la question reste posée de l’assiette du droit de retour légal. Doit-on considérer que le retour porte sur le quart des biens donnés ou sur les biens donnés dans les limites de la vocation légale ordinaire du « quart » revenant à chaque ascendant ?


La doctrine penche majoritairement pour la seconde thèse en arguant de la finalité du texte (garantir aux ascendants une "quasi-réserve" sur les biens qu'ils ont donnés), mais il existe des arguments contraires notamment tirés de sa lettre (qui évoque seulement la « portion des biens donnés »). Les divergences existent aussi entre les juges du fond (v. en faveur de la première thèse v. CA Chambéry, 1ère sect., 31 oct. 2017, RJPF n°2, 1er février 2018 ; en faveur de la seconde CA Limoges, 16 sept. 2021, n° 20/00034 : Defrénois 2022, n° 17, comm. S. Gaudemet).

 

A dire vrai, il est bien difficile de trouver une véritable cohérence à ce texte, les arguments avancés en faveur de l'une ou l'autre des deux thèses étant rarement décisifs. On ne peut alors qu’espérer que le prochain arrêt de la Cour de cassation qui lui sera consacré permettra de préciser non pas seulement la nature du retour légal mais aussi son régime.

 

David Epailly

 

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