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Photo du rédacteurDavid Epailly

Rappel : l’intention libérale ne se déduit pas de l’appauvrissement

Dans un arrêt en date du 12 juin 2024 (Cass. 1ère civ. 12 juin 2024, 22-19.569), la Cour de cassation devait se prononcer, dans le contexte d’un règlement successoral conflictuel entre cinq enfants, sur la question désormais bien connue du traitement liquidatif de « l’occupation gratuite » d'un immeuble appartenant aux parents.

 

Au cas particulier, quatre des enfants considéraient que le cinquième avait bénéficié d’une donation indirecte rapportable, en occupant un logement moyennant un loyer très inférieur au prix du marché.

 

La Cour d’appel leur avait donné raison, estimant que ce faible loyer avait engendré un appauvrissement des parents, duquel on pouvait déduire leur intention libérale pour caractériser la donation indirecte.

 

Suite au pourvoi, l’arrêt est cassé pour défaut de base légale au visa de l’article 843, alinéa premier du Code civil.


La Cour de cassation rappelle d’abord qu’il ressort de ce texte que « (…) seule une libéralité, qui suppose un appauvrissement du disposant dans l'intention de gratifier son héritier, est rapportable à la succession ».

 

Elle rappelle ensuite que l’existence d’une telle libéralité suppose de démontrer l’appauvrissement et l’intention libérale, ce second élément constitutif ne pouvant pas simplement se déduire du premier :


« (…) l'arrêt retient qu'en mettant à la disposition de M. [W] [S] l'appartement dont il avait l'usufruit en échange d'un loyer inférieur au prix du marché, [H] [S], puis l'indivision successorale après lui, s'est appauvri et a agi avec une intention libérale, ce qui constitue une donation indirecte, rapportable par son bénéficiaire à la succession (…). En déduisant l'existence de l'intention libérale des disposants de leur seul appauvrissement au profit de M. [W] [S], la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision».

 

Observations.


Cet arrêt vient rappeler une jurisprudence désormais très bien établie de la Cour de cassation.

 

En effet, et après avoir un temps posé une solution contraire (v. en ce sens, Cass. 1ère civ. 8 nov. 2005, n° n° 03-13.890), la haute juridiction considère depuis plus de dix ans que si l’occupation gratuite (ou comme en l’espèce moyennant un loyer très faible) d’un logement peut constituer une donation indirecte rapportable à la succession, c’est à la condition de prouver, comme pour toute libéralité, l’existence d’un appauvrissement du donateur et d’un enrichissement corrélatif du donataire, ainsi que l’intention libérale du premier (v. par exemple, Cass. 1ère civ., 18 janv. 2012, n°09-7254, plus récemment, v. Cass. 1ère civ. 12 janvier 2022 ; n°20-14.455).

 

Cette preuve peut se faire par tous moyens (Cass. 1ère civ., 19 mars 2014, n°13-14139), par exemple en produisant un testament même révoqué faisant état de l’intention libérale, ou encore en démontrant que l’occupant a par ailleurs reçu de nombreuses autres libéralités (incontestables celles-là) dans la même période.

 

Cela dit, et comme le réaffirme le présent arrêt, l’intention libérale ne peut pas se déduire du seul appauvrissement, car cela reviendrait à rétablir l’idée d’avantage « objectif » que la Cour de cassation a précisément voulu écarter.

 

Il ne suffit donc pas de démontrer que le loyer payé par l’occupant était inférieur au prix du marché. Il faut encore démontrer que c’est parce que le propriétaire voulait gratifier l’enfant qu’il a conclu ce contrat avantageux pour ce dernier (v. dans le même sens Cass. 1ère civ., 1er fév. 2017, n°16-13022).

 


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