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Le legs du bien indivis n'est pas (forcément) le legs de la chose d'autrui

Dans un arrêt en date du 6 mars 2024 (Cass. 1ère civ., 6 mars 2024, n°22-13.766, Inédit), la Cour de cassation devait se prononcer, dans le contexte d’un règlement successoral conflictuel, sur la validité d’un legs de bien indivis.


En l’espèce, le de cujus, décédé veuf, laissait pour lui succéder ses trois enfants issus du mariage avec son conjoint prédécédé.  Par testament, il avait institué une personne légataire à titre particulier de plusieurs biens immobiliers dépendant de l’indivision post-communautaire laquelle n’avait jamais été liquidée ni partagée.


Après le décès, les enfants contestent le testament et refusent de délivrer le legs, estimant qu’il porte sur la chose d’autrui et qu’il est donc nul sur le fondement de l’article 1021 du Code civil. Ils obtiennent gain de cause devant la Cour d’appel, qui en prononce effectivement la nullité.


Suite au pourvoi formé par la légataire, la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel au visa de l’article 1021 précité. Elle estime que la chose indivise n’est pas la chose d’autrui visée par ce texte et donc que les juges du fond, en prononçant la nullité du legs du bien dépendant de l’indivision post-communautaire, ont violé ces dispositions.


Extraits : «(…)  Pour prononcer la nullité du testament olographe daté du 13 décembre 2015, l'arrêt énonce que les dispositions de l'article 1021 du code civil permettent d'inclure dans un testament les biens dont on a la propriété et la libre disposition et non ceux dépendant de la communauté dissoute, mais non encore partagée, ayant existé entre le testateur et son conjoint prédécédé. Il relève que les biens immobiliers objets du legs litigieux avaient été acquis par [I] [P] et son épouse, [N] [P], décédée le 16 février 2015, qu'ils dépendaient donc de la communauté de biens ayant existé entre le testateur et son épouse et que les opérations de liquidation de la communauté et de la succession de cette dernière n'étaient pas réglées avant l'établissement du testament litigieux. Il en déduit que [I] [P] n'avait pas le pouvoir de disposer seul de ces biens, qu'il détenait en indivision avec ses enfants, déjà saisis comme héritiers de leur mère prédécédée.


En statuant ainsi, alors que la chose indivise n'est pas la chose d'autrui, la cour d'appel a violé le texte susvisé. »


Note.


Cet arrêt, qui vient confirmer une jurisprudence bien établie (v. notamment, Cass. 1e civ. 16-5-1966 : Bull. civ. I n° 297), permet de rappeler que le legs du bien dépendant de l’indivision post-communautaire n’est pas, en tant que tel, nécessairement nul comme étant un legs de la chose d’autrui au sens de l’article 1021 du Code civil.


En réalité, son efficacité dépend des résultats du partage de ladite indivision, qui peut être librement demandé par les coïndivisaires du testateur en faisant abstraction du legs.


Par suite, deux hypothèses sont envisageables :


- si le bien est finalement mis dans le lot du testateur, le legs se trouve rétroactivement confirmé, l’effet déclaratif du partage permettant de considérer que ce dernier en était depuis toujours le seul propriétaire,


- si, au contraire, le bien n’est pas mis au lot du testateur, soit parce qu’il est attribué au conjoint (ou à ses héritiers), soit parce qu’il fait l’objet d’une licitation (cas d’une indivision incommodément partageable en nature), le legs est caduc comme étant rétrospectivement celui de la chose d’autrui.


Quelques rapides observations complémentaires :  


1° Lorsque le legs de bien indivis n’est pas susceptible de recevoir exécution en nature, il ne peut pas, non plus, recevoir exécution en valeur, par équivalent, même lorsqu’il s’agit, comme en l’espèce, d’une indivision post-communautaire.

En effet, la Cour de cassation (v.  Cass. 1re civ., 16 mai 2000, RTDC 2000, p. 879, obs. J. Patarin ; JCP 2001, II, 10519, obs. F. Sauvage) refuse d’appliquer par analogie au legs de biens dépendant de l’indivision post-communautaire (c’est-à-dire le legs réalisé par le survivant des époux) la règle prévue par l’article 1423 alinéa 2 du Code civil en cas de legs de biens communs (c’est-à-dire le legs réalisé par le prémourant des époux), selon laquelle  « (…) Si un époux a légué un effet de la communauté, le légataire ne peut le réclamer en nature qu'autant que l'effet, par l'événement du partage, tombe dans le lot des héritiers du testateur ; si l'effet ne tombe point dans le lot de ces héritiers, le légataire a la récompense de la valeur totale de l'effet légué, sur la part, dans la communauté, des héritiers de l'époux testateur et sur les biens personnels de ce dernier ».


2° Lorsque le bien légué était indivis entre le testateur et ses héritiers, il est possible de faciliter le « sauvetage » de cette disposition en prévoyant dans le testament une autre libéralité au profit desdits héritiers avec « charge » pour eux de procurer au légataire l’entière propriété du bien indivis. Et la Cour de cassation autorise même les juges du fond, lorsque ladite charge n’a pas été expressément formulée, à déduire de l’ensemble des dispositions testamentaires une volonté implicite du de cujus en ce sens (v. par exemple, sur l’ensemble de cette question, F. Lucet, op. cit., n° 75, et les références citées ; v. aussi Cass. 1ère civ., 28 mars 2006, Defrénois 2006, art. 38468, note C. Farge). Encore faut-il toutefois, que ladite charge ne pèse pas sur la réserve, qu’elle soit assortie d’une clause pénale efficace, et que le partage soit effectivement réalisable en nature.


3°  Si le legs de biens indivis post-communautairement est donc parfois valable (selon le résultat du partage), et que le legs de biens communs l’est toujours (en nature ou en valeur), un lot de testament-partage ne peut jamais être composé ni d’un bien dépendant de l’indivision post-communautaire (Cass. 1ère civ. 9 déc. 2009 n° 08-17.351 et n° 08-18.677), ni même d’un bien commun (Cass. 1ère civ., 5 déc. 2018, n°17-17493).


4° Le legs de « bien indivis » ne se confond pas avec le legs de « droits indivis », dont on a coutume de dire qu’il pose moins de difficulté puisqu’il revient simplement à mettre le légataire « à la place » qu’occupait le testateur. Cela dit, à notre avis, le propos doit être nuancé car ce qui est vrai pour le legs de droits dans l’indivision, ne l’est plus pour le legs de droits sur un bien déterminé dépendant d’une indivision universelle (qui pose en réalité des difficultés très comparable à celle rencontrées dans l’hypothèse du legs de bien indivis). Et la question est encore différente lorsque l’indivision est à titre particulier, puisque dans ce cas, il est plus facile d’assimiler le legs de droits sur l’indivision et le legs de droits sur le bien indivis (v. sur l’ensemble de la question, notre ouvrage « 70 questions de donations-partages », Dir. D. Epailly, coll. Brochure du Cridon SO, Lexis-Nexis, p. 159 et s. ; voir aussi P. Jourdain, « Les actes de disposition sur la chose indivis (condition juridique des actes irréguliers pendant l’indivision) » RTDciv. 1987, p. 499 et s).


David Epailly.



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