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Photo du rédacteurDavid Epailly

La non-suspension de la prescription des créances entre concubins n'est pas contraire à la constitution

Dans un arrêt en date du 10 juillet 2024 (Cass. 1ère civ., 10 juillet 2024, n°24-10157), la Cour de cassation devait se prononcer sur une question prioritaire de constitutionnalité, dans le contexte d’une liquidation-partage contentieuse d’une indivision entre ex-concubins.


Dans cette affaire, les concubins avaient acquis en indivision un bien immobilier le 25 juin 2002. Suite à leur séparation, en 2019, ils engagent une procédure de partage judiciaire. L’ouverture des opérations est ordonnée judiciairement le 6 mai 2021.


Dans un arrêt du 17 octobre 2023, la Cour d’appel de Colmar rejette les prétentions de l’un des concubins qui revendiquait une créance d’apport et une créance de conservation du bien indivis. Les juges estiment en effet que ces créances, nées antérieurement au 6 mai 2016, sont prescrites par application de l'article 2224 du Code civil (prescription quinquennale de droit commun).


Ledit concubin forme alors un pourvoi en cassation, avec une demande de renvoi au Conseil constitutionnel de deux QPC. Il estime en résumé que l’article 2236 du Code civil, qui prévoit la suspension de la prescription entre époux et partenaire mais pas entre concubins, est contraire au principe d’égalité d’une part, au droit de mener une vie familiale normale, d’autre part.


La Cour de cassation refuse de renvoyer ces questions, estimant qu’elles ne sont pas nouvelles et ne présentent pas de caractère sérieux.


Pour rejeter la première critique, fondée sur la rupture du principe d’égalité, elle fait valoir que l’article 2236 du Code civil « (…) en ce qu’il prévoit que la prescription ne court pas ou est suspendue entre époux, ainsi qu'entre partenaires liés par un pacte civil de solidarité (PACS), sans étendre ce régime de prescription aux concubins, ne méconnaît pas le principe d'égalité devant la loi, dès lors que la différence de traitement qui en résulte, fondée sur une différence de situation, est en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. En effet, afin de préserver la paix des ménages en évitant qu'un époux puisse être contraint, pour interrompre la prescription, d'intenter une action contre son conjoint pendant la durée du mariage, le législateur a pu prévoir que la prescription ne courrait pas ou serait suspendue pendant la durée de l'union, et étendre ensuite cette disposition aux partenaires liés par un PACS, auxquels il a accordé des droits et des obligations particuliers en créant une autre forme d'union légale dotée d'un statut et produisant un ensemble d'effets de droit, sans toutefois inclure les concubins, dont la situation se distingue en ce qu'il s'agit d'une union de fait qui se forme et se défait par la seule volonté, en dehors de tout cadre juridique, et qui emporte des droits et obligations moins nombreux. »


Pour rejeter également la seconde critique, fondée cette fois sur l’atteinte au droit de mener une vie familiale normale, la Cour de cassation indique que l’application de l’article 2236 précité « (…) ne peut entraîner une atteinte au droit des concubins à mener une vie familiale normale, en ce qu'elle n'impose nullement à celui qui détient une créance contre l'autre d'agir en justice pendant la durée de leur relation afin d'éviter la prescription. En outre, à supposer que la seconde question invoque l'atteinte à la vie familiale normale en ce qu'elle résulterait de la méconnaissance, par le législateur, de sa propre compétence, un tel grief d'incompétence négative, qui ne peut porter que sur l'insuffisance du dispositif instauré par la disposition contestée, serait inopérant à critiquer l'abstention du législateur qui n'a pas élaboré de régime de prescription réservé aux concubins »


Note.


La présente décision donne l'occasion de rappeler que les concubins, à la différence des époux et des partenaires de PACS, ne bénéficient pas de la suspension de la prescription prévue par l’article 2236 du Code civil… et de préciser que cette règle n’a rien d’inconstitutionnelle.


Le point est d’importance pour la liquidation des intérêts patrimoniaux des concubins, d’autant plus que la Cour de cassation considère, depuis un arrêt du 14 avril 2021 et contre ce qui était jusque-là l’opinion doctrinale majoritaire, que les créances contre l’indivision de l’article 815-13 du Code civil ne sont pas suspendue jusqu’au partage (v. Cass. 1ère civ., 14 avril 2021, n°19-21.313, v. aussi nos observations ; https://www.alsnot.fr/post/assignation-en-liquidation-partage-et-prescription-des-cr%C3%A9ances-contre-l-indivision)


Ainsi, lorsque des concubins achètent leur logement en indivision, celui qui se prévaut d’une créance entre indivisaires (en cas d’apport par exemple), ou contre l’indivision (en cas de dépense de conservation ou d’amélioration) se trouve simplement soumis à la prescription quinquennale de droit commun de l’article 2224 du Code civil.


Il doit, donc si rien n’a été anticipé conventionnellement, accomplir dans le délai des actes interruptifs de prescription (C. civ. art. 2242 et s.)… ce qui est souvent plus théorique que pratique car quand on aime... on n’interrompt pas…


Ici comme ailleurs, le devoir de conseil du notaire au moment de l'acquisition indivise est donc primordial, qui pourra notamment suggérer aux parties d'aménager les conditions d'exigibilité des créances à valoir entre elles.


David Epailly



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