Dans un arrêt en date du 19 décembre 2024 (Cass. 2ème civ. 19 décembre 2024, n°23-19.110), la Cour de cassation devait se prononcer sur la question récurrente de l’appréciation du caractère « manifestement exagéré » des primes d’un contrat d’assurance-vie.
En l’espèce, une personne est décédée en laissant pour lui succéder sa fille. Elle avait souscrit un contrat d’assurance sur la vie, sur lequel elle avait effectué plusieurs versements pour un total de 274.800 euros, au bénéfice de la Ligue nationale contre le cancer. La fille, exhérédée de fait, demande alors en justice la réintégration d’une partie des primes dans la succession.
Elle obtient gain de cause devant la Cour d’appel qui ordonne la réintégration des primes pour un montant de 130.000 euros. Les juges du fond constatent que le contrat n’a pas obéré le train de vie de la souscriptrice et qu’il lui était utile mais ils justifient néanmoins leur décision par le fait « (…) que le versement de cette prime avait abouti à placer plus de 75 % de son patrimoine sur ce contrat quand elle avait auparavant disposé de placements diversifiés » et que « (…) le versement de cette somme apparaissait manifestement excessif au regard de [sa] situation familiale dès lors qu'elle ne pouvait ignorer qu'il aboutissait à exhéréder sa fille ».
Suite au pourvoi formé par le bénéficiaire, l’arrêt d’appel est cassé au visa de l’article L132-13 du Code des assurances.
La Cour de cassation rappelle d’abord que, selon ce texte : « (…) les primes versées par le souscripteur d'un contrat d'assurance sur la vie ne sont rapportables à la succession que si elles présentent un caractère manifestement exagéré eu égard aux facultés du souscripteur, un tel caractère s'appréciant au moment du versement, au regard de l'âge, des situations patrimoniale et familiale du souscripteur ainsi que de l'utilité du contrat pour celui-ci. »
Elle indique ensuite, en résumé, que la connaissance par la souscriptrice de l’atteinte portée à la réserve de sa fille ne pouvait pas justifier la décision de réintégration des primes, s’agissant là d’un critère étranger à l’appréciation du caractère manifestement exagéré au sens dudit article L132-13 du Code des assurances. En l’utilisant, la Cour d’appel n’a donc pas donné de base légale à sa décision.
« L'arrêt énonce que, s'agissant de primes ayant bénéficié, non pas à un héritier mais à un tiers à la succession, il convient de vérifier si ces versements ont porté atteinte à la réserve héréditaire. (…) Il constate que le dernier versement a eu pour conséquence que la quasi-totalité du patrimoine de la souscriptrice s'est trouvée placée sur un unique contrat d'assurance sur la vie dont le bénéficiaire était la Ligue contre le cancer, alors que, disposant par le passé d'une épargne répartie sur différents supports, elle ne pouvait ignorer qu'en agissant de la sorte, elle privait sa fille d'une part très importante de sa succession, excédant la réserve héréditaire (…).
Il en déduit que, quelle qu'ait pu être l'utilité d'un tel placement pour [B] [G], ce dernier versement apparaît manifestement exagéré au regard de la situation familiale et patrimoniale de celle-ci.
En statuant ainsi, la cour d'appel, qui s'est fondée sur un critère étranger à l'appréciation du caractère manifestement exagéré des primes versées, a violé le texte susvisé ».
Observations.

Dans cet énième arrêt sur la question de l’appréciation des primes « manifestement exagérées » en vue de leur possible réintégration dans la succession (article L132-13 du Code des assurances), la Cour de cassation rappelle une nouvelle fois sa jurisprudence fondée sur un double critère à la fois quantitatif (l’importance des primes eu égard à la situation patrimoniale et familiale du souscripteur) et qualitatif (l’utilité du contrat pour le souscripteur).
Elle rappelle également que c’est la situation du souscripteur au moment du versement des primes et non au moment du décès qui doit être prise en compte.
Elle précise enfin que ces éléments d’appréciation sont cumulatifs. Si un seul manque, les primes ne peuvent pas être réintégrées.
Et il n’est pas non plus possible de substituer un autre critère que ceux qui viennent d’être définis : en l’occurrence, la connaissance par la souscriptrice de l’atteinte portée à la réserve de sa fille est indifférente.
Cette jurisprudence stricte de la Cour de cassation est constante et a déjà donné lieu à de nombreux arrêts (v. le détail dans la documentation ALS.not).
Malheureusement pour les réservataires, la rigueur était moindre lorsqu’il s’est agit de définir, il y a plus de 20 ans, les contrats susceptibles de relever du statut de l’assurance-vie.
On se souvient effet que dans son célèbre arrêt du 23 novembre 2004 (Cass. Chambre mixte, 23/11/20024 n°03-2013.673), la Cour de cassation a refusé, contre la doctrine majoritaire, de distinguer les assurances-vie à « fonds perdus », des contrats d’assurance-vie « rachetables », et de requalifier ces derniers en contrats de capitalisation, motif pris qu’ils comportent bien un aléa puisqu’ils dépendent de la durée de vie humaine : (« (…) le contrat d’assurance dont les effets dépendent de la durée de la vie humaine comporte un aléa au sens des articles 1964 du Code civil, L.310-1 et R.321-1.20, du code des assurances et constitue un contrat d’assurance sur la vie ».
Extrêmement critiquée depuis lors, cette jurisprudence difficilement compréhensible est particulièrement attentatoire à la protection de la réserve héréditaire, et ce, à double titre.
En premier lieu, parce qu’elle paralyse le plus souvent la critique consistant à dire que l’assurance-vie gratuite et inspirée par une intention libérale, peut constituer le support d’une donation indirecte (rapportable et/ou à réunir fictivement) du capital assuré. Pour la Cour de cassation, cette qualification est exclue en principe et il n’en va autrement que si l’on parvient à démontrer, en sus de l’intention libérale, que le dénouement du contrat par le décès du souscripteur plutôt que par le rachat ne faisait aucun doute au moment de la souscription, ce qui renvoie pour l’essentiel aux hypothèses de souscriptions in extremis, par des personnes se sachant condamnées, dans lesquelles l’exercice de la faculté de rachat apparaît comme « illusoire » (ce qui supprime donc l’aléa quant au dénouement du contrat) et qui dénotent ainsi la volonté de se « dépouiller de manière irrévocable » en faveur du bénéficiaire (v. par exemple Cass. civ. 1ère, 4 juillet 2007, n°05-10254 ; Cass. ch. mixte 21 décembre 2007, n°06-12769).
En second lieu, et l’on retrouve ici la question évoquée dans l’arrêt commenté, parce qu’en admettant que les contrats « rachetables », qui sont aussi des placements financiers, puissent être considérés comme de l’assurance-vie, elle paralyse de fait la possibilité pour les réservataires d’obtenir la réintégration des primes sur le fondement de l’article L132-13 du Code des assurances. En effet, ce texte a été conçu en regard des assurances-vie « à fonds perdus » pour lesquelles on peut concevoir des primes « excessives » et « inutiles ». Mais ces caractères sont beaucoup plus difficiles à démontrer face aux assurances-vie actuelles. Comment faire en effet, pour expliquer qu’un bon placement est inutile pour le souscripteur ? Et comment reprocher à ce dernier, si le support est vraiment performant, d’y placer la majeure partie de son épargne ?
En réalité, et au-delà même de la question des primes manifestement exagérées, le refus persistant de la Cour de cassation de soumettre civilement ces contrats au droit des libéralités (dès lors évidement que l’on démontre l’intention libérale) n’est compris ni par les réservataires, ni par la doctrine majoritaire ni par les juridictions du fond qui ne cessent de résister… ni même par nombre de souscripteurs qui n’hésitent pas à réaliser des testaments dans lesquels ils « lèguent » expressément leurs assurances-vie au même titre que leurs autres actifs. Cela pose évidemment en pratique des questions d’interprétation, de qualification et de liquidation qui reviendront nécessairement devant les tribunaux.
La chose est d’autant plus regrettable qu’il ne serait sans doute pas impossible de maintenir au profit de ces contrats un régime fiscal de faveur sans nuire excessivement aux droits des héritiers et à une certaine cohérence juridique.
Quelques liens utiles :
L’essentiel de la veille de jurisprudence ALS.not accessible à tous : https://www.alsnot.fr/veille
L’intégralité de la documentation ALS.not (guides, fiches, veille), accessible aux abonnés payants et aux utilisateurs des simulateurs : https://www.alsnot.fr/documentation-en-ligne
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