Dans un arrêt en date du 3 juillet 2024 (Cass. 1ère civ, 3 juillet 2024, n°22-13.639) la Cour de cassation devait se prononcer, dans le contexte d’un règlement successoral conflictuel, sur l’efficacité des opérations successives réalisées par des enfants sur divers biens dont ils étaient propriétaires indivis suite à une « fausse donation-partage » (sans partage réel de l’ensemble des biens donnés) réalisée à leur profit.
Dans cette affaire, une personne décède en laissant pour lui succéder son conjoint et trois enfants (les enfants U) issus de l’union.
De son vivant, elle avait, avec son conjoint, réalisé au profit desdits enfants plusieurs « donations-partages » conjonctives en les laissant en indivision par tiers sur des immeubles propres et communs.
Les enfants avaient ensuite apporté ensemble des immeubles indivis à une SCI. Puis ils avaient donné leurs quotes-parts indivises en nue-propriété des 360.000 parts sociales reçues en contrepartie à leurs propres enfants qui s’étaient alors retrouvés eux-mêmes en indivision.
Après le décès du père, un conflit se noue entre les parties tant sur le règlement de la succession que sur la gestion de la société, aboutissant à une demande de partage judiciaire des différentes indivisions.
Les juges du fond ordonnent alors le partage unique entre les enfants U seulement de l’indivision post-communautaire et de la succession (en ordonnant au passage le rapport de la « donation-partage »). Ils considèrent également qu’il est possible d’intégrer à ce partage unique les parts sociales alors même qu’elles ont été données par les trois enfants U à leurs propres enfants, ceci, parce que le sort de ces donations « (…) dépend du sort du partage à intervenir entre eux trois ».
Suite au pourvoi formé contre la décision, l’arrêt est cassé au visa de l’article 816 du code civil. La Cour d’appel aurait dû rechercher, comme celui lui était demandé, si un partage amiable n’avait pas déjà été réalisé par les parties rendant irrecevable l’action en partage judiciaire.
Au-delà de ce premier motif de cassation, la haute juridiction relève d’office un autre moyen. Pour la Cour de cassation : « Il se déduit [de l’article 883 du Code civil] que l'effet déclaratif du partage est sans incidence sur l'efficacité de la cession d'une quote-part de l'universalité d'une indivision, de sorte que le cessionnaire acquiert, par le seul effet de la cession, la qualité d'indivisaire » et « Il résulte [de l’article 840-1 du Code civil] qu'il ne peut être procédé au partage unique de plusieurs indivisions que si celles-ci existent entre les mêmes personnes ».
Ainsi, au cas particulier, et nonobstant l’effet déclaratif du partage, les donations réalisées par les enfants du défunt à leurs propres enfants sur les parts sociales étaient valables. Lesdits donataires avaient donc bien acquis la qualité d’indivisaires desdites parts, et il n’était donc pas possible que celles-ci fassent l’objet d’un partage entre les seuls enfants donateurs : « En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que les enfants [U] avaient donné, selon des proportions variables, leurs quotes-parts indivises des parts sociales à leurs propres enfants de sorte que ceux-ci avaient, par le seul effet de ces donations, acquis la qualité d'indivisaires de ces parts et que celles-ci ne pouvaient faire l'objet d'un partage unique avec d'autres biens indivis entre les seuls enfants [U], la cour d'appel a violé les textes susvisés ».
Observations.
L’arrêt commenté permet de rappeler une importante distinction entre, d'une part, la donation par un indivisaire de droits sur un bien dépendant d’une indivision, qui est soumise à l’effet déclaratif du partage, et, d'autre part, la donation par un indivisaire de ses droits sur l’universalité que constitue l’indivision, qui n’est pas affectée par cet effet.
Rappelons d’abord que l’effet déclaratif du partage est cette fiction qui permet de considérer que chaque indivisaire est propriétaire des biens mis dans son lot depuis le fait ou l’acte juridique ayant créé l’indivision.
Spécialement, en cas de partage successoral, c’est cette fiction qui permet de réputer les héritiers propriétaires de leurs lots depuis le décès du de cujus, et de considérer qu’ils les tiennent de lui directement.
Ceci posé, l’effet déclaratif a des conséquences sur l’efficacité des actes de disposition réalisés par tel ou tel indivisaire sur un bien de l’indivision.
En effet, en conservant toujours l’exemple de l’indivision successorale, la cession par un indivisaire de ses droits sur un bien de la succession sera rétroactivement validée ou invalidée selon que le bien sera mis ou non dans son lot au moment du partage. La situation du cessionnaire est alors assez précaire puisqu’il ne rentre ni dans l’indivision successorale, ni même dans l’indivision sur le bien considéré (v. par exemple : Cass. 1e civ. 4-11-2020 n° 19-13.267 F-PB)
Reste que cette situation ne se confond pas avec l’hypothèse dans laquelle l’indivisaire cède sa « quote-part de l’universalité d’une indivision ». Pour reprendre l’exemple précédent, l’héritier ne cède plus ses droits sur un bien dépendant de l’indivision successorale, mais ses droits dans l’universalité que constitue l’indivision successorale elle-même. Avec cette différence notable que le cessionnaire intègre cette fois l’indivision et se voit donner la possibilité de participer au partage.
Dans l’affaire en cause, les donations de quotes-parts indivises sur les parts sociales relevaient de la seconde catégorie. L’effet déclaratif était donc hors propos, et les petits-enfants étaient donc bien indivisaires. Il n’était donc pas possible d’ordonner un partage unique entre les enfants seulement.
On notera une particularité complémentaire qui mérite d’être soulignée notamment à l’attention des « liquidateurs ».
Si les parts sociales vont faire l’objet d’un partage autonome en nature entre enfants et petit-enfants (certains ont conservé une partie des parts), elles vont également se retrouver, par le biais du rapport successoral en valeur, dans le partage de succession, qui, cette fois, ne concerne que les enfants U.
On sait en effet, et cela n’a pas échappé aux juges, qu’une « donation-partage » qui ne comporte pas de lots divis exclusivement doit être traitée comme un ensemble de donations ordinaires, soumises au rapport aux fins d’égalité dans les conditions de droit commun (v. récemment https://www.alsnot.fr/post/rappel-les-lots-d-une-donation-partage-ne-sont-pas-rapportables).
Or, pour évaluer le rapport, il faut tenir compte, suivant l’article 860 du Code civil, des éventuels biens subrogés aux biens donnés. Ainsi, dans l’affaire en cause, puisque les parts sociales ont été subrogées aux immeubles donnés dans la « fausse donation-partage » (via l’apport à la société), le rapport sera dû pour leur valeur au jour du partage de la succession (pour les parts conservées par les enfants U) ou au jour de leur aliénation (s’agissant des parts sociales données par les enfants U à leurs propres enfants).
David Epailly
Quelques liens utiles :
L’essentiel de la veille de jurisprudence ALS.not accessible à tous : https://www.alsnot.fr/veille
L’intégralité de la documentation ALS.not (guides, fiches, veille), accessible aux abonnés payants et aux utilisateurs des simulateurs : https://www.alsnot.fr/documentation-en-ligne
La boutique pour devenir membre, bénéficier de nos simulateurs de liquidation et/ou de notre documentation juridique en ligne : https://www.alsnot.fr/boutique
Nos vidéos de présentation : https://www.alsnot.fr/vid%C3%A9o-d%C3%A9mo-simulateur-divorce-succession
Comentários